Carnet du Nord de l'Argentine

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  • Album des chutes d'Iguazu
  • Album de Salta
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    Carnet de Manu

    Ecrit le 7 mars 2018, environ dix mois après notre passage en Argentine

    Au contraire de ce qui se passe pour beaucoup de voyageurs en herbe, l'Argentine n'a jamais été, dans mon imaginaire, une destination porteuse de fantasmes. Je sais qu'elle fait partie, aux côtés du Canada et de l'Australie, de ces contrées qui font rêver les âmes avides de grands espaces et d'aventure, mais je dois dire que personnellement, je n'ai jamais été très sensible à une telle association d'idées. Peut-être cela vient-il de mon peu d'appétence pour les pays hispanophones ou de culture sud-américaine en général, peut-être est-ce lié à ma préférence innée pour l'abstraction, la fonctionnalité et la raison anglo-saxonnes, que j'ai tendance à opposer au pathos romantique fier et triste que j'imagine, peut-être à tort, constituer le fond de l'état d'esprit latino-américain. Quoi qu'il en soit, je peux affirmer que l'Argentine en général ne m'attirait guère, et que ce n'est que parce qu'elle comprenait des sous-ensembles naturels réputés exceptionnels (Patagonie, chutes d'Iguazu, contrefort des Andes près des frontières bolivienne et chilienne) que s'est imposée l'idée d'y faire un tour.

    Concernant la Patagonie, nous n'avons pas été déçus. Mais la Patagonie est-elle vraiment argentine? Je veux dire: elle l'est certes administrativement, tout comme elle est aussi chilienne, mais enfin, la présence humaine y est si faible, et la nature si forte, qu'on pourrait plutôt dire que la Patagonie existe par elle-même, indépendamment de toute appartenance nationale, et que l'opposition fratricide entre les deux pays voisins, pourtant bien réelle aux niveaux politique et culturel, n'y a pas vraiment de sens. Les installations humaines (routes, petites villes, réseau de passerelles autour du Perito Moreno) ne pèsent presque rien par rapport à l'immensité des montagnes, des lacs et des fjords, et il me semble que la dimension culturelle est pour ainsi dire absente de la région. Je ne dis pas que la Patagonie n'inspire pas l'imaginaire argentin; je dis que l'imaginaire argentin n'impacte pas la réalité patagonienne; et c'est d'ailleurs pour cet ensemble de raisons que j'ai traité la Patagonie comme un chapitre à part de notre tour du monde, au contraire de ce que j'ai fait pour la plupart des autres destinations pour lesquelles chaque chapitre correspond à un pays différent.

    Le raisonnement pourrait se répéter aux chutes d'Iguazu, car il s'agit encore d'une zone frontalière (l'occasion pour nous d'ailleurs, peut-être unique, de poser les pieds en territoire brésilien) où la nature surdétermine la réalité. Qu'importe qu'on parle portugais d'un côté des chutes et espagnol de l'autre, la manifestation grondante et fumante du spectacle est la même dans les deux cas. Iguazu restera d'ailleurs l'une des images fortes, on pourrait dire l'une des images-puissances, de notre tour du monde, peut-être également grâce à la présence de ces centaines de papillons d'espèces diverses qui volètent autour des chutes, et apportent à la majesté du spectacle une petite touche de couleur et de grâce.

    En revanche, une fois arrivés à Salta, nous avons enfin eu le sentiment d'être au coeur de la culture argentine. Certes, l'impression est sans doute un peu trompeuse, et ce n'est pas parce que nous avons pu dîner un soir dans un des ces peñas essentiellement destinés aux touristes que nous pouvons le moins du monde prétendre avoir compris quoi que ce soit à l'âme du pays, mais tout de même, le fait de rester quelques jours sur place, de visiter les églises pleines de fidèles, et de traiter, pour nos circuits, avec une agence locale (ainsi qu'avec l'inénarrable Patrick, certes français d'origine mais tout de même largement acculturé à son pays d'accueil), nous a doucement permis de découvrir certains aspects de la culture et de la langue du pays. Déjà en Patagonie, nous avions eu l'occasion de balbutier quelques mots d'espagnol (notammeent, pour ce qui me concerne, lors d'un épisode improbable dans une gendarmerie du Puerto Natales, à minuit, la veille de notre départ, pour obtenir la copie d'un document officiel d'entrée sur le territoire dont l'absence nous menaçait de nous interdire de quitter le pays!) On ne peut pas dire que nous ayons fait des progrès notables en si peu de temps dans la langue de Cervantes, mais tout de même, une familiarité s'est un peu installée, et nous avons vite compris qu'il valait mieux, dans un souci d'intégration et de respect, parler mal espagnol que bien anglais avec les autochtones...

    Salta même a constitué pour nous l'un des derniers carrefours de voyageurs de notre périple. Nous avons eu le plaisir d'y retrouver Flo et Jenny, et nous y avons fait la connaissance d'Alex, Virginie et Léon avec qui nous avons partagé quelques sacrés moments d'aventure. Pour nous comme pour nombre d'autres visiteurs, la vie sur place s'est organisée autour de la très agréable place du 9 juillet, l'un des endroits les plus plaisants de la ville. Les faubourgs et la périphérie de Salta sont très étendus, et la circulation dense et souvent difficile, ce qui fait qu'il est préférable de séjourner dans l'hyper-centre et de tout visiter à pied. C'est là que nous avons rencontré Patrick, aventurier au parcours improbable, parti du Limousin pour arriver en pays Quechua après avoir été légionnaire, ingénieur, guide de haute montagne, marié à plusieurs reprises à des femmes de toutes les cultures, j'en passe et des meilleures. Patrick fait partie de ces personnages qui auront marqué notre tour du monde (au même titre que d'autres individus aussi différents que Nargiza au Kirghizstan, Yoann à Tumbak, Alexandra à Maupiti, Hervé en Australie, par exemple), par leur originalité, la force de leur personnalité, et l'improbabilité de notre recontre. Patrick, quoi qu'il en soit, aura aussi eu un impact décisif sur notre parcours en Argentine, qui aurait pu très mal se terminer si un autre personnage sorti de nulle part, César, ne nous avait pas tiré d'affaire.

    Je laisse à Isabelle le soin de donner les détails de nos aventures dans la Puna, mais je garderai pour ma part cette image forte de la pente en partie enneigée qu'il nous a fallu descendre un soir, puis remonter le lendemain, malades mais armés de pelles de déneigement, au milieu de montagnes de pierre peuplées presque uniquement de lamas et de moutons. La veille, nous avions vu de magnifiques paysages dont, malgré la banalité de l'expression, je ne trouve pas d'image plus pertinente que celle qui consiste à les décrire comme des panoramas d'une autre planète. Des couleurs et des formes inhabituelles, des couches géologiques aux dessins abstraits, comme des arabesques, de vastes mirages se transformant à l'approche en marécages ou en mers de sel, des jeux d'ombres contrastés sur les parois de roche, et ici et là des lignes de peupliers ou des petits groupes de vigognes; peu d'êtres humains, ou alors des durs, des bruts, de ces paysans au regard droit et au cuir tanné, capables de survivre de peu, ancrés dans leur territoire comme des arbres centenaires, pas vraiment de ces créatures fragiles de centre-ville nourris au cosmopolitisme et aux abstractions du vivre-ensemble, m'a-t-il semblé.

    Cette Argentine-là nous a laissé un goût d'inachevé. Nous n'avons pas eu le temps d'y voir tout ce que nous aurions souhaité, de monter un peu plus haut dans les montagnes, de progresser vers l'ouest et vers le sud, de nous installer un peu. Nous n'avons pas saisi l'occasion d'aller vers la pampa, de dévorer les grands espaces, de tenter de relier par la fameuse route 40 et ses transversales le sud des fjords et le nord des hauts-plateaux, encore moins de faire un détour par la Peninsula Valdes et ses colonies d'animaux marins. Ce sera peut-être pour la prochaine fois, tant il est vrai qu'à cause de ce sentiment de manque, l'Argentine s'est imposée à moi comme l'une des destinations prioritaires de prochains voyages au long cours, au point de nourrir à peine quelques mois après notre retour des projets de plus en plus précis de traversée de l'Amérique du Sud au Nord en fourgon aménagé. L'avenir dira si ces projets viennent effectivement à voir le jour, mais la réalité de notre tour du monde montre qu'au moins parfois, dans notre cas, des rêves d'ailleurs aboutissent à des réalisations concrètes, même si celles-ci mettent parfois des années à prendre forme...

    Les "J'aime/J'aime pas" de Manu au Nord de l'Argentine

    J'ai aimé:

  • La puissance des chutes d'Iguazu ++
  • La quantité et la variété de papillons à Iguazu +
  • Les bonnes grillades de viande locale
  • Le sentiment général de calme et de sécurité
  • Les cathédrales magnifiques tant de l'extérieur que de l'intérieur, par exemple à Salta +
  • Les très beaux paysages "lunaires" de la Puna, même si nous n'avons pu en voir qu'une partie ++
  • La très faible pression touristique dans la Puna, d'ailleurs étrange si l'on observe qu'au même moment, les touristes étaient assez nombreux à Salta
  • La solidarité des villageois d'El Peñon et Antofagasta qui ont pu nous accueillir et nous nourrir lors de notre succession de contretemps/incidents nous ayant empêché d'atteindre Tolar Grande
  • J'ai moins aimé:

  • Le coût de la vie aligné sur les standards occidentaux
  • La difficulté à gérer l'argent au quotidien, entre les commerçants qui n'acceptent que les paiements en liquide et les banques qui empêchent tout retrait important et qui facturent très cher le moindre service
  • Le suréquipement des chutes d'Iguazu qui, ajouté à la pression touristique importante, artificialise beaucoup les lieux (mais donne, il est vrai, accès à des points de vue remarquables)
  • Les bus Cama VIP pas toujours à la hauteur de leurs promesses (wifi non fonctionnel, sièges cassés, repas franchement mauvais, gares routières sales et bondées)
  • La fréquence des pannes et crevaisons sur les pistes caillouteuses autour de Salta, aux conséquences heureusement limitées par le grand nombre de "gomerias" (petites boutiques de réparation de pneus) qu'on trouve un peu partout
  • L'énorme migraine/nausée qui m'a saisi au village de La Poma, première nuit au-dessus de 3000 mètres
  • Les embouteillages permanents dans le centre-ville de Salta dès lors qu'on quitte la paisible place du 9 juillet
  • Le manque de fiabilité de la Nissan Patrol. Selon notre chauffeur, rien ne vaut la Toyota Hilux.
  • Si c'était à refaire:

  • Je profiterais du fait d'être à Iguazu pour aller au parc aux oiseaux.
  • Peu rancunier sur ce coup, je redonnerais une chance à Patrick de nous emmener jusqu'à Tolar Grande.